Colloque international “Des limites de la Terre aux limites planétaires. Regards interdisciplinaires.”

Colloque international “Des limites de la Terre aux limites planétaires. Regards interdisciplinaires.”

Le Centre Atlantique de Philosophie ont le plaisir de vous annoncer la tenue du colloque « Des limites de la Terre aux limites planétaires. Regards interdisciplinaires. » à Rennes du mercredi 2 au vendredi 4 octobre 2024 au sein du bâtiment 32B en salle Ortigues (campus Beaulieu de l’Université de Rennes) pour les deux premiers jours, et à la Maison des Sciences de l’Homme en Bretagne (campus Villejean) pour le dernier jour. Il est co-organisé par Luca Paltrinieri, maître de conférence à l’université de Rennes et Ferhat Taylan, maître de conférence à l’universite Bordeaux Montaigne.

Pour tout renseignement : mark.achard@univ-rennes.fr

Programme

Mercredi 2 Octobre, Université de Rennes, campus Beaulieu, Bat 32b – Salle Ortigues

10h-12h30

Panel 1 : Pour une histoire philosophique de la limite

Chair : Claire Malwé (Université de Rennes, Iode)

Jean-Christophe Bardout (Univ Rennes – CAPHI, Philosophie) : « Remarques sur quelques transformations du concept de limite du Moyen-âge aux Lumières »

Tristan Velardo (Science-Po Bordeaux – Centre Durkheim, Economie): « La possibilité de l’illimité. Limites économiques et limites naturelles chez Jean-Baptiste Say »

Frédéric Monferrand (Univ Paris-1 Pantheon-Sorbonne – ISJPS, Philosophie): « Marx, à la limite »


14h00-17h30.

Panel 2 : Gouverner par les limites ? Néomalthusianisme et environnementalisme au 20ème siècle

Chair : Virginie Maris (CNRS)

14h00-15h30

Guillaume Blanc (Univ. Rennes 2 – IUF, Histoire) : « Quand la croyance dicte la gouvernance. Penser le bon gouvernement de la nature africaine indépendante (1950-1978) »

Ferhat Taylan (Univ. Bordeaux Montaigne – SPH, Philosophie) : « De l’éco-malthusianisme. Émergence et transformations (1930-1980) »

15h30-15h45 : Pause café

15h45-17h15

Marius Bickhardt (Science-Po Paris/Centre Marc Bloch Berlin, Sciences politiques) : « Ce que la démographie historique du Cambridge Group fait au marxisme : enjeux historiques et conceptuels du facteur malthusien dans la transition vers le capitalisme »

Emilie Hache (Univ Nanterre – Sophiapol, Philosophie): « Le genre de la limite. Penser l’illimitisme au prisme du genre »


Jeudi 3 Octobre, Université de Rennes, Campus Beaulieu, Bat 32B, salle Ortigues

09h00-12h30

Panel 3 : Economie et démographie saisies par les limites

Chair : Antoine Missemer (CNRS / CIRED)

9h-10h30

Fabrice Cahen (INED, Histoire): « Du plafond au plancher : la question du minimum de population dans les années 1950 »

Luca Paltrinieri (Univ. Rennes – CAPHI, Philosophie) : « La théorie du capital humain face au démo-ressourcissme : néo-malthusianisme ou anti-malthusianisme ? »

10h30-10h45 : Pause café

10h45-12h30

Lauriane Mouysset (CNRS / CIRED, Économie, Philosophie): « Les limites planétaires face au libéralisme économique »

Antonin Pottier (EHESS – CIRED, Economie): « Economie des limites ou limites de l’économie? Quelques réflexions à partir des limites à la croissance »

Pierre Crétois (Univ Bordeaux Montaigne – SPH, Philosophie): « Justifier les limitations en matière environnementale entre coercition publique et vertu civique »

14h30-18h00

Panel 4 : Les limites de planète du point de vue des sciences de système Terre et de l’écologie de la préservation

Chair : Filipe Drapeau-Contim (Université de Rennes)

14h30-16h00

Virginie Maris (CNRS-CEFE, Philosophie): « Limiter l’empreinte humaine : ségrégation spatiale ou partage des espaces »

Laurent Jeanneau (CNRS, Univ Rennes, Géosciences): « Quelle relation entre les sciences du système Terre et les frontières planétaires? »

16h-16h15 : Pause café

16h15-17h45

Sebastien Dutreuil (CNRS, Centre Granger, Histoire des sciences): « De l’habitabilité de Gaïa aux frontières planétaires du système Terre: le retour de nouvelles limites après une expansion vitale décorrélée des ressources »

Jeanne Etelain (Ecole de Beaux Arts, Montpellier /HAR, Univ. Nanterre, Philosophie) : « Des frontières géopolitiques aux zone critiques, quels concepts de limite pour penser la nature de l’espace terrestre à l’époque de l’Anthropocène? »

Vendredi 4 Octobre, Maison des sciences de l’homme de Bretagne, amphithéâtre

09h-12H30

Panel 5: Nouveaux défis politiques et sociaux liés aux limites planétaires

Chair : Jeanne Etelain (NYU)

09h15-10h15

Valérie  Golaz (INED, Démographie) / Bénédicte Gastineau (IRD, LPED – UMR 151, Démographie) : « Le changement climatique remet-il en question les limites de la planète? Perspectives démographiques »

Natacha Gondran (Ecole des Mines, Saint-Etienne, Géosciences) : « Des limites planétaires aux limites du système terre : prise en compte des enjeux de justice sociale et de la territorialisation des  indicateurs »

Pause

10h45-12h30

Marion Le Moine (CNRS – Université de Rennes Iode, Droit) : « La standardisation juridique de la notion d’habitabilité de la Terre »

Stefan Aykut (Univ. Hambourg, Sciences Politiques): « Planetary limits, governance limits. Global warming thresholds in climate governance »

Giorgos Kallis (Univ . Barcelone, Sciences Politiques) : « A non-malthusian defense of limits »

14-16h

Table ronde: Les limites planétaires : du constat à l’action

Chair : Matthieu Mandard (IGR, Université de Rennes)

Vincent Dubreuil (Rennes 2, Haut Conseil Breton pour le Climat) : « Le changement climatique en Bretagne »

Arthur de Lassus (Horizons Décarbonés) : « Les enjeux de la vulgarisation du concept des limites planétaires »

Christelle Larrieu (Ministère de la Transition Ecologique et de la Cohésion des Territoires) : « La France face aux neuf limites planétaires »

Argumentaire

La notion de « limite », omniprésente dans l’environnementalisme contemporain sous forme de « limites écologiques » ou « limites planétaires », sera au cœur de ce colloque interdisciplinaire qui vise à en déterminer les contours, réunissant des chercheurs en philosophie, économie, sociologie, démographie, histoire, histoire des sciences et sciences de l’environnement. Le concept de limite a fait l’objet de travaux récents dans les sciences sociales anglophones, qui ont pu ainsi explorer son histoire et son rôle organisateur dans la réflexion écologique (Marouby 2019), ou son rapport avec la conception économique de la rareté (Mehta 2010, Mullaunathan & Shafir, 2023, Albritton Jonsson & Wennerlind 2023). Les limites n’ont pas la même signification, ni la même fonction, lorsqu’il s’agit des quantités maximales de ressources naturelles que l’on peut utiliser, ou des seuils à ne pas dépasser pour rester dans une zone sûre (Rockstorm 2009; Aykut 2015). On constate ainsi une tension entre la dimension descriptive des limites, surtout lorsqu’elles ont la prétention de désigner un processus naturel fini, et leur dimension normative, qui indique plutôt une recommandation concernant une frontière dont le dépassement s’avère risquée. Cette tension s’avère être un problème à la fois épistémologique et politique (Kallis 2022), qui situe le concept de limite au cœur de la question, beaucoup plus large, de la place des sciences et de l’expertise scientifique dans la démocratie et dans les pratiques de gouvernement.

Or, cette tension entre la description scientifique d’une rareté ou finitude naturelles et la normativité d’une proposition politique consistant à limiter l’action humaine semble trouver sa source théorique dans les débats des Lumières tardifs autour du progrès et de la perfectibilité. En pensant les limites naturelles de la terre et de la population contre le progrès illimité (Malthus), l’économie politique de la rareté a été une source fondamentale de la pensée des limites (Binoche, 2007). Ainsi, le premier panel sera consacré à l’histoire de la notion de limites, du Moyen-Âge jusqu’à l’économie politique moderne (l’illimitation chez Say et les limites chez Marx). Il sera aussi question des fondements théoriques du paradigme démo-ressourciste qui s’affirme entre XVIIIe et XIXe siècle, où la limite ultime dérive soit de l’asymétrie malthusienne entre les deux progressions, arithmétique et géométrique, de ressources et de la population, soit des rendements décroissants des terres ou de la baisse de productivité (Ricardo). Dans ce cadre démo-économique, l’idée que les limites soient inscrites dans l’ordre du monde n’apparaît que comme la contrepartie des besoins illimités d’une humanité fatalement soumise à la contrainte de la rareté. Par conséquent, les limites naturelles devraient soit conduire à la naturalisation des inégalités sociales, soit être dépassées constamment par une productivité croissante indexée au progrès technique et scientifique, qui devient la condition de l’égalité sociale, comme le défendent les socialistes à l’instar de Saint-Simon et, au cours du XXe siècle, les « cornucopiens » qui s’opposent aux « néo-malthusiens » (Sabin, 2013).

Dans la continuation de cette problématisation, le colloque vise à examiner la mobilisation du concept néomalthusien des limites par des pratiques de gouvernement des populations. De la Population Bomb des Erlich au rapport Meadows sur les limites de la croissance en passant par les travaux de G. Hardin, l’éco-malthusianisme qui s’installe dans la seconde moitié du 20ème siècle fait circuler l’idée des limites naturelles infranchissables (Robertson, 2012 ; Locher 2013). Dans le second panel, il s’agira alors de comprendre dans quelle mesure l’environnementalisme a repris le dispositif malthusien des limites au 20ème siècle, souvent pour gouverner des populations du Sud au nom des limites démographiques (Ross 1998 ; Connely, 2009 ; Murphy, 2019). Des pratiques de préservation des espèces et espaces naturels contre les habitants indigènes en Afrique (Blanc 2022) à la critique économique des communs, la notion de limites naturelles portée par l’éco-malthusianisme prend ainsi l’apparence d’un impératif politique. Comment on a pu imposer ou réguler des comportements reproductifs, des déplacements de populations, élaborer des politiques inégalitaires de développement au nom des limites naturelles ? La question du genre de la limite sera aussi abordée dans ce cadre, à travers les notions de génération et de production (Hache 2024).

Le troisième panel abordera les limites saisies par l’économie et la démographie au 20ème siècle. En économie se pose aussi bien la question – en partie polanyienne – de l’incompatibilité du capitalisme avec les limites écologiques (Pottier, 2017) que celle des arrangements du marché pour intégrer la question des limites au sein d’une “croissance verte” (Tordjmann, 2021). Or, au-delà de la critique du malthusianisme, il s’agit aussi de considérer les pensées économiques attentives aux vivants dans un cadre non malthusien (Orain, 2023), ou encore les perspectives d’une économie écologique évoluant parallèlement au cadre malthusien au 20ème siècle (Missemer & Franco, 2023). Il faudra alors se pencher sur la manière dont les sciences sociales, surtout l’économie et la démographie, envisagent cette question des limites, parfois en écho avec son élaboration en sciences naturelles.

Dans le quatrième panel, il s’agira de se demander dans quelle mesure le sens (néo)malthusien des limites avait été pertinent pour les sciences naturelles au 20ème siècle, et dans quelle mesure elle l’est encore aujourd’hui pour les sciences de Système Terre. Si Lovelock semble être politiquement proche des idées malthusiennes, est-ce le cas de sa théorie de Gaia (Dutreuil, 2024)? Les pratiques de préservation des écosystèmes ou de la biodiversité se référent-elles encore aux limites, seuils ou frontières ; et en quel sens elles le font ? Le registre plus récent des limites planétaires (Rockström, 2009), sans faire référence à la surpopulation ni aux ressources, indique des seuils que l’humanité ne doit pas dépasser si l’on souhaite vivre dans un écosystème sûr, où les transformations brusques ou des basculements pourraient être évitées. Les « limites de la planètes » ne sont plus pensées à partir du rapport conflictuel entre population et ressources, mais plutôt à partir du processus de régulation de la biosphère afin de maintenir viable, pour les humains, les système terre. Il en découle non seulement une nouvelle manière de comprendre la finitude humaine dans un contexte de préoccupation environnementale croissante mais aussi la complication de la notion de limite, désormais redoublée par celles de frontière ou de seuil (traductions imparfaites de boundaries), renvoyant aux risques qu’une société est prête à prendre à court et moyen terme. Les deux paradigmes ne sont pourtant pas indépendants car l’intensification de la production, que l’on relie généralement aux besoins d’une population croissante ainsi qu’au niveau de vie moyen et de développement technologique, est à l’origine des dérèglements écologiques (Boutaud, Gondran, 2020). Le paradigme des limites planétaires est-il ainsi une continuation implicite de la conception néomalthusienne des limites ou un abandon de celles-ci au profit des nouveaux seuils normatifs ? Quelles seraient les conséquences philosophiques de ce changement de paradigme ?

Le dernier panel, et plus en général la journée du vendredi 4 octobre, se penchera sur les nouveaux défis politiques et sociaux liés au paradigme des limites planétaires, à travers le droit, la démographie et sciences politiques, suivi d’une table ronde réunissant les acteurs institutionnels dans ce domaine. Le colloque se termine ainsi sur une série de questions politiques, qui seront abordées dans une perspective internationale : la notion de « limite naturelle » est-elle encore pertinente pour penser notre rapport à la terre et aux êtres vivants ou doit-elle être remaniée pour faire place à une auto- limitation négociée (Kallis, 2022) ? Qu’en est-il du rôle des limites planétaires dans la gouvernance climatique internationale (Aykut, 2015)?  Comment repenser notre rapport à la finitude des écosystèmes, sans retomber dans la fausse alternative du progrès (solutionnisme technologique) et de l’inégalité (limites naturelles conduisant à des politiques anti-égalitaires et restrictives des droits humains) ? Comment penser la description de la perturbation des processus naturels indiquant des seuils avec la normativité intrinsèque à l’action de limiter, ou de s’auto-limiter ?


Références

Albritton Jonsson F. et Wennerlind, C. (2023), Scarcity. A History from the Origins of Capitalism and Climate Crisis, Harvard University Press.

Angus I. et Butler S. (2014), Une planète trop peuplée?, Montréal, Editions Ecosociété.

Aykut, Stefan C. (2015), « Les « limites » du changement climatique », Cités, vol. 63, no. 3, pp. 195-210.

Binoche B. (2007), La raison sans l’Histoire, Paris, PUF.

Blanc, G. (2022), L’invention du colonialisme vert: Pour en finir avec le mythe de l’Éden Africain, Paris, Flammarion.

Boutaud, A. et Gondran, N. (2020), Les limites planétaires, Paris, La Découverte.

Dutreuil, S. (2024), Gaïa, Terre vivante: Histoire d’une nouvelle conception de la Terre, Paris, Les Empecheurs de penser en rond.

Hache, E. (2024), De la génération. Enquête sur sa disparition et son remplacement par la production, Paris, La Découverte.

Hardin, G. (1995), Living within Limits: Ecology, Economics, and Population Taboos, Oxford University Press.

Kallis G. (2022), Éloge des limites. Par-delà Malthus, Paris, PUF.

Klancher Merchant, E. (2021), Building the Population Bomb, Oxford University Press.

Marouby, C. (2019), The Question of Limits. A historical perspective on the environmental crisis, Routledge.

Mehta, L (ed) (2010), Limits to scarcity. Contesting the Poltics of Allocation, Earthscan Press.

Missemer, A; Vianna Franco M.P. (2023), A History of ecological economic thought, Routledge.

Mullaunathan S, Shafir E. (2023) Scarcity. The true cost of Not Having Enough, Penguin.

Murpy, M. (2017), The Economization of Life, Duke University Press.

Orain, A. (2023), Les savoirs perdus de l’économie. Contribution à l’équilibre du vivant, Gallimard.

Robertson T. (2012), The Malthusian Moment: Global Population Growth and the Birth of American Environmentalism, Rutgers University Press, 2012.

Rockström J.  (dir., 2009), « A safe operating space for humanity », Nature, vol. 461, n° 7263, p. 472-475.

Ross, E.B. (1998), The Malthus Factor. Poverty, Politics and Population in Capitalist Development, Zed Books.

Sabin P. (2013), The Bet. Paul Elrich, Julian Simon, and Our Gamble over Earth’s Future, New Haven & London, Yale University Press.

Simon J. [1981], The Ultimate Resource, Princeton University Press, Princeton.

Steffen W.  (dir., 2015), « Planetary boundaries: guiding human development on a changing planet», Science, vol. 347, n° 6223, 1259855.

Steiner, P. (2005), L’école durkheimienne et l’économie, Droz.

Tordjmann, H. (2022), La croissance verte contre la nature. Critique de l’écologie marchande, La Découverte.



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