12 Sep Matérialisme et nécessité au XVIIIe siècle
Au XVIIIe siècle, la matière est par bien des aspects une idée neuve en Europe. Si le siècle précédent est celui de l’invention moderne de la nature, désormais comprise comme l’ensemble des phénomènes obéissant à des lois, il devient alors impossible de reculer devant la question ontologique sous-jacente, qui est celle de l’éventuelle synonymie entre naturalité et matérialité. D’où la présence quasi obsédante d’un matérialisme philosophico-scientifique qui, souvent interprété comme un motif polémique et anti-théologique, est peut-être d’abord à comprendre comme le produit d’une rationalité qui assume jusqu’au bout son projet d’objectivation de la nature. Ontologiquement conséquent, ce matérialisme ne pouvait à son tour que soulever la question de ses suites pratico-métaphysiques, ouvrant la voie à un fatalisme renouvelé, parce que ne découlant pas directement de fondements théologiques.
Ce colloque s’interrogera sur « la conséquence matérialiste » au XVIIIe siècle, l’expression étant à prendre en un double sens, et produira une double question, épistémique et pratique : Plutôt qu’un motif idéologique, le matérialisme n’est-il pas le produit d’une raison assumant jusque dans ses dernières conséquences, et garantissant du même coup, son projet de connaissance ? Et quelles sont les conséquences pratico-métaphysiques du matérialisme concernant la question de la liberté ? Cette réévaluation des deux motifs que sont le matérialisme et le fatalisme philosophiques pourrait bien contribuer à dessiner la figure d’un XVIIIe siècle hautement métaphysicien, y compris – ou surtout – lorsqu’il se veut le siècle de la critique de la métaphysique.
Deux noms recommandent fortement une telle problématique. Celui de Joseph Priestley, qui soutient explicitement que le matérialisme, qu’il adopte en s’inscrivant dans une tradition hobbésienne, nourrie des apports originaux de Boscovich et Michell, le contraint au fatalisme, et que l’établissement de ce dernier constitue aussi bien une manière de preuve indirecte du premier. Celui d’Emmanuel Kant, qui voit précisément dans cette position de Priestley l’incarnation typique de la plus haute vertu philosophique, qui est la conséquence, et dont une autre mise en œuvre doit désormais ouvrir « le seul chemin qui demeure ouvert », celui, critique, du transcendantal.
Les travaux seront organisés en quatre sections, respectivement consacrées : à la philosophie de langue anglaise (envisagée tout particulièrement au prisme de la réception de Hobbes) ; à la manière dont ces questions ont pu être élaborées dans le champ même des sciences de la nature ; à la façon dont les matérialistes français ont envisagé le rapport entre leur thèse ontologique et le problème crucial de la liberté ; et à l’éventuelle spécificité du traitement de ces questions dans l’Aufklärung, de Wolff à Kant. On espère ainsi montrer la fécondité du concept du matérialisme et l’insistance du « problème liberté » pour une compréhension renouvelée de l’unité philosophique des Lumières.
Avec :
Sophie AUDIDIEÌ€RE, Eric AUDUREAU, Michel BLAY, Patrick CERRUTI, Matteo FAVARETTI-CAMPOSAMPIERO,
Antoine GRANDJEAN, Vincent JULLIEN, Eléonore LE JALLEÌ, Michel MALHERBE, François PéPIN, Pascal TARANTO, Angélique THEÌBERT,
Stéphane SCHMITT & Charles T. WOLFE
Journées organisées par Antoine GRANDJEAN & Pascal TARANTO avec la participation du CEPERC (CNRS UMR 7304).